• Fragiles ou contagieuses

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    Fragiles ou contagieuses, Le pouvoir médical et le corps des femmes
    Barbara Ehrenreich & Deirdre English | Editions Cambourakis| 160 pages | 9782366241853

    Fragiles ou contagieuses

     Cet article de BLOG est écrit dans le cadre du projet Féminibooks et il termine la session mars 2020.

    Hier, le 30 mars, La Geekosophe a rédigé un article sur l’œuvre de Gillian Flynn et son thriller domestique Sur ma peau. Vous pouvez retrouver son article Fragiles ou contagieuses ici

    Pour plus d'informations, retrouvez le Féminibooks sur les réseaux sociaux :

    Fragiles ou contagieuses  et Fragiles ou contagieuses 

    C'est Opalyne qui a créé le projet, vous pouvez la retrouver sur sa chaîne youtube :

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    Fragiles ou contagieuses

    Fragiles ou contagieuses, Le pouvoir médical et le corps des femmes est le deuxième pamphlet de Barbara Ehrenreich et Deirdre English, suite directe de Sorcières, sages-femmes & infirmières. 

    Dans Sorcières, sages-femmes & infirmières, une histoirE des femmes soignantes, Barbara Ehrenreich et Deirdre English parlent de l'éviction des femmes soignantes dans l'histoire de la médecine (j'ai déjà écrit un article de blog sur ce premier ouvrage Fragiles ou contagieuses ici). Dans Fragiles ou contagieuses, Le pouvoir médical et le corps des femmes, les autrices décrivent le traitement des patientes, entre le 19ème siècle et le début du 20ème siècle aux Etats Unis. Le titre de l'ouvrage y fait directement écho : les femmes de la classe aisée (moyenne supérieure) sont perçues comme "fragiles", tandis que les femmes de la classe pauvre (ouvrières) sont considérées comme "contagieuses". 

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    La première partie du livre concerne cette fragilité. Un culte de "l'invalidité chronique" des femmes de la classe moyenne supérieure est apparu au début du 19ème siècle. La littérature, visant le lectorat féminin, allait dans ce sens (romantisme autour de la maladie et de la mort) et la mode féminine était à la pâleur. La médecine n'échappait pas à la règle. La physiologie humaine était encore à ses débuts, et les médecins pouvaient élaborer toutes sortes de "théories scientifiques" dont certaines expliquant la fragilité féminine. Les femmes étaient vues comme naturellement défectueuses, dominées par leur utérus et/ou leurs ovaires, et leur "utilité principale" (pour les hommes) était la reproduction. Cela a eu plusieurs conséquences : l'isolation des femmes et leur interdiction de se livrer à certains loisirs (qui étaient considérés comme préjudiciables à leur fertilité et/ou leur mental, tel que le sport ou les activités intellectuelles), le refus d'accès aux écoles, le dénigrement du droit de vote pour les femmes, des traitements médicaux inutiles et parfois extrêmement violents (maltraitance médicale, avec entre autres de nombreuses clitoridectomies et ovariectomies). Cette "fragilité féminine" était aussi importante économiquement parlant puisqu'elle fournissait une riche patientèle aux médecins, elle permettait également de disqualifier les femmes en tant que soignantes (et participer à l'élimination de la concurrence).

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    Les femmes n'ont pas été traitées (et opprimées) de la même manière selon la classe à laquelle elles appartenaient. Dans la seconde partie du livre, ce sont les femmes pauvres dont il est question. Elles ont été exposées à de nombreux facteurs de risque (lieux de vie vétustes et insalubres, lieux de travail dangereux, longues heures de travail même si les femmes sont enceintes ou malades). Elles n'avaient pas accès aux soins car elles n'avaient pas les moyens de payer les 'services' des médecins, et les hôpitaux publics avaient des conditions sanitaires tellement déplorables que l'on y mourait bien plus facilement que l'on y était sauvé. Les femmes pauvres ont été également victimes des hypothèses médicales. La polarisation de classe (dans la théorie de l'évolution de Darwin) mettait en avant la supériorité des riches par rapport aux pauvres - les pauvres étant responsables de leur propre état de pauvreté. Il y a aussi la théorie des germes pathologiques : elle est une réalité (puisqu'il existe bien des micro-organismes responsables de maladies) mais les populations défavorisées ont été prises pour cible, étant vues comme dangereuses, en particulier les femmes car elles étaient plus facilement proches de la classe moyenne supérieure (travail dans le domaine du textile, travail dans l'aide à domicile, prostitution), et parce que le taux de natalité était plus important dans la classe ouvrière que dans la classe moyenne supérieure.

    « Si la femme de la classe moyenne supérieure avait des problèmes de santé, la femme de la classe ouvrière, elle, était un problème de santé. » 

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     (photo de Margaret Sanger, sa sœur Ethyl Byrne et ses partisans sur les marches d'un palais de justice à Brooklyn en 1917. Cette photo n'est pas dans Fragiles ou contagieuses, le pouvoir médical et le corps des femmes)

    Une offensive politique a été organisée contre les pauvres et les travailleur.se.s. Il y a eu des mesures répressives anti-ouvrières et des réformes civiques diminuant le pouvoir électoral des immigrants. Deux mouvements ont eu une grande importance : le mouvement pour la santé publique et le mouvement pour le contrôle des naissances, dont le but premier était de lutter contre la double menace de "contagion" et "d'ébranlement de la race". Des mises en quarantaine forcées ont eut lieu. La contraception a été légalisée, en grande partie grâce à Margaret Sanger (une militante anarchiste américaine, originaire de la classe ouvrière, partisane de l'eugénisme négatif). Elle déclarait, en 1919, « Plus d'enfants engendré.e.s par les plus adapté.e.s, moins par les inadapté.e.s, voici le défi principal du contrôle des naissances ». Et elle a participé à la fondation de l'American Birth Control League en 1921 (qui deviendra le Planning Familial -  Fédération des planning familiaux d'Amérique - en 1942). Beaucoup de femmes de la classe moyenne supérieure se sont également impliquées auprès des femmes pauvres, afin de les "élever", ce qui leur a conféré un rôle social qui était l'extension de leur rôle d'épouse/mère en dehors de la sphère du foyer, et qui témoignait d'une condescendance et d'un mépris des riches envers les pauvres.

    Il est ici important de relever l’interrogation de Barbara Ehrenreich et Deirdre English :

    « Nous voulons que notre position soit claire. Nous pensons que toutes les femmes, toutes classes et groupes ethniques confondus, devraient sur simple demande avoir accès à la contraception. Nous ne nous rallions pas à l'idée que la contraception est un moyen d'émancipation pour certaines femmes, mais “génocidaire” pour d'autres. Ce que nous critiquons, c'est l'orientation adoptée par le mouvement pour le contrôle des naissances pour obtenir gain de cause. Le fait qu'il est adopté une orientation raciste et classiste, incite à considérer ce qui fut indiscutablement une victoire comme une victoire douteuse.
    Mais nous devons nous demander ceci : le mouvement pour la contraception aurait-il triompher d’une autre façon, étant donné le contexte social aux États-Unis à l'époque? Si le mouvement pour le contrôle des naissances n'avait avancé que des arguments purement féministes en faveur de la contraception, aurait-il eu le pouvoir et l'influence nécessaire à sa réussite? Nous pourrions nous poser des questions similaires à propos du mouvement pour la santé publique : y aurait-il eu ne serait-ce qu'une réforme concernant la santé publique si cela n'avait pas été dans l'intérêt direct des gens riches et puissants? Bien sûr, il est impossible de répondre à ces questions, mais elles indiquent bien l'ambiguïté fondamentale des réformes dans une société par ailleurs oppressive. »

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    La troisième partie du livre se concentre sur la situation actuelle (c.a.d en 1973) ainsi qu'un regard vers le futur. Le système de santé reste un élément à double tranchant. Il participe à l'émancipation des femmes, notamment avec le droit à disposer de son corps (contraception, avortement, choix de méthodes d'accouchement). Mais il participe aussi à l'oppression de celles-ci, avec beaucoup de fondations sexistes (sur la biologie et l'héritage religieux). Le droit à disposer de son corps n'est pas le même partout, et les femmes restent complètement dépendantes des techniques médicales (prescriptions de contraception, poses des DIU, interventions chirurgicales) « Ils nous tiennent par les ovaires, pour ainsi dire » écrivent les autrices. La pratique du self-help et son importance historique sont mises en avant : c'est un mouvement d'auto-exploration de l'anatomie féminine, permettant une réappropriation de son corps et des techniques médicales (avec l'utilisation de spéculum), de parler de sexualité en groupe, de donner un aperçu de ce que les soins médicaux pourraient être (dans un souci de soins tout autant que de respect de la dignité, et non au prix de cette dernière).

    La partie finale du livre, plus exactement la post face (2015-2016), est écrite par Eva Rodriguez, une Doctorante en Sciences politiques à l'Université Paris VIII et à l'Institut des Études genre de l'Université de Genève, dont les thèmes de recherche sont la sociologie, l'histoire et le féminisme. Elle précise certains propos de Barbara Ehrenreich et Deirdre English, et elle parle de la situation en France. Elle aborde le traitement des femmes à travers un prisme raciste : les premiers essais cliniques des hormones sexuelles ont été réalisés au milieu des années 1950 et majoritairement pratiqués à Mexico, à Haitï et à Porto Rico, la contraception médicale étant conçue à l'usage  des femmes et d'abord des femmes racisées (encore aujourd'hui, la contraception demeure essentiellement féminine avec les méthodes contraceptives hormonales et les DIU au cuivre). Il y a également eu une politique raciste et malthusienne dans les DOM-TOM dans les années 1960 où l'avortement et la contraception ont été promus alors qu'ils étaient interdits en France métropolitaine. La contraception n'a été légalisé qu'en 1962, mais utilisée de façon générale en 1972. Quant à l'avortement - l'IVG non médicale - il a été légalisée en 1975 et reste aujourd'hui encore difficile d'accès à cause du manque de structures et du manque de soignant.e.s le pratiquant). 

    « 40 ans après, ce pamphlet demeure un outil de lecture important, à la fois pour comprendre l'emprise de l'institution médicale sur le corps des femmes et pour penser les stratégies d'émancipation. »

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    Je ne peux que vous conseillez Fragiles ou contagieuses, Le pouvoir médical et le corps des femmes, (ainsi que Sorcières, sages-femmes & infirmières). Comme le premier opus, ce deuxième ouvrage m'a appris beaucoup de faits que je ne connaissais pas, par exemple cette différence de traitement (je dirais plutôt de mal-traitement) des femmes en fonction des classes. Lorsque j'étais adolescente, j'ai eu recours au Planning Familial - ça a été d'ailleurs ma porte d'entrée dans mes soins d'ordre gynécologique. Par contre, je ne m'étais jamais vraiment intéressée à l'histoire du Planning Familial et je ne connaissais pas son passif raciste... cela m'a plutôt fait grincer des dents, même si cela n'enlève rien à l'utilité du planning de nos jours (je n'ai aucun regret d'y avoir été patiente, et maintenant adulte, je soutiens le planning, je suis leurs différentes publications sur les réseaux sociaux, et je leur fais des dons). 

    Mon regret dans cet ouvrage, et plus particulièrement dans sa post face (car c'est elle la plus récente) est qu'il n'est nulle part mention des femmes trans, pour qui la médecine peut avoir une importance capitale : l'hormonothérapie, le suivi endocrinien, le suivi psychiatrique, et les potentiels actes chirurgicaux.

    Pour rester dans la continuité, j'attends de lire le prochain livre de Martin Winckler  : C'est mon corps | ISBN-13 : 9782378801267 | éditions L'Iconoclaste  :

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    (j'ai trouvé la couverture et le sommaire en libre extrait sur un célèbre site de vente en ligne - à noter que là encore, le livre semble centrer uniquement sur les femmes cis)

    N'hésitez pas à poster en commentaires vos recommandations si vous connaissez des ouvrages et des vidéos sur la santé des femmes. Je pense par exemple
    - à d'autres livres de Martin Winckler : Le Chœur des femmes (ISBN : 9782072722677); L'école des soignantes (ISBN : 9782818045381)
    - à d'autres livres publiés par les éditions Cambourakis : Donner naissance, Doulas, sages-femmes et justice reproductive (de Alana Apfel | ISBN : 9782366242904), Réflexions autour d’un tabou : l’infanticide (Collectif | ISBN : 9782366241372)
    - au film Tu enfanteras dans la douleur d'Ovidie : en libre accès sur le site d'Arte  Fragiles ou contagieuses ici
    - à la vidéo de Marinette sur l'IVG : L'accès au droit : sur youtube Fragiles ou contagieuses ici

     


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